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Itinéraires polaires
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18 janvier 2009

Récit de l'arrivée...

Il y a un mois, c'était l'arrivée à DDU. Déjà un mois ! Quel mois, bien dense... Le lendemain matin, la première chose que j'ai faite, c'est écrire ce petit récit de cette incroyable journée de l'arrivée, une journée exceptionnelle, unique par essence. Je l'ai diffusé à quelques proches sur le moment, mais en guise de petite commémoration de cet heureux événement, je le publie aujourd'hui sur mon blog, et sans photo car avec un texte si long, ça ne passerait pas.

Ici c'est la tempête, on atteint les 100km/h en cette fin de dimanche, -2.5°C au compteur, ça commence à faire un peu vibrer les bâtiments, la neige tombe et le vent crée de jolis tourbillons, vive l'été polaire, un bon avant-goût de l'hiver en tout cas.

RECIT : 

Vendredi 19 Décembre 2008 8h14 à DDU !!!!

Eh bien nous y voilà ! C'est hier soir vers 19h (10h du matin en France) que j'ai posé le pied sur la mythique base de Dumont d'Urville. Le voyage aura donc duré quasiment exactement 10 jours. Mais revenons sur cette dernière journée à bord. Pour revenir sur ce que je disais à la fin : oui, je suis bel et bien arrivé à la base le soir même.

Après quelques hésitations, car par instants on a traversé une glace de mer plus dense que prévue, on y est arrivé. Mais cette journée fut une sorte d'hallucination, du début à la fin quasiment. D'abord le matin, on est à 65°30'S, il reste donc un bon degré de latitude à parcourir (110km), et vu notre grande vitesse (3-4kt), il est clair qu'on a encore pour une quinzaine d'heures. On regarde donc, sous le soleil, les icebergs défiler autour de nous, avec de temps en temps des manchots ou des phoques dessus. Les manchots sont, comme je m'y attendais, vraiment marrants. La plupart du temps effrayés par l'arrivée du bateau, ils détalent et finissent par plonger dans l'eau, on les voit ensuite réapparaître en nageant, puis replonger, etc....

A un moment, on a vu un cétacé, difficile à déterminer lequel, car son apparition a été assez furtive, mais ça changeait de ce qu'on voyait jusque là !  Mer d'huile, ciel bleu la plupart du temps, icebergs d'un blanc éclatant et aux formes riches et aux couleurs variées, un superbe tableau, on se croyait vraiment dans un décor, difficile de croire que tout cela était bien réel ! On continue donc notre lente progression, rythmée par les heurts plus ou moins violents du bateau contre les bouts de glace de mer que nous rencontrions sur notre passage. De temps en temps, ça secouait pas mal, gros changement par rapport à la tranquille progression sur la mer d'huile.

A midi, dernier déjeuner et dernier repas à bord, toujours très bon et suffisamment copieux pour tous (je comblais bien les grandes faims avec le fromage !). Bien évidemment, le grand jeu à ce moment là, tandis que nous franchissons le 66ème parallèle (le dernier avant l'arrivée), c'était de savoir quand est-ce que nous verrions le Grand Continent Blanc. En réalité, assez tôt dans l'après midi, on a vu une grande ligne blanche continue sur l'horizon, que l'on a longtemps confondue avec un nuage, mais petit à petit le doute n'était plus permis : il s'agissait bien du continent. D'autant que, plus tard dans l'après midi, le doute n'était plus permis, puisqu'on apercevait distinctement la pente de la calotte, je crois que c'est la vision qui m'a le plus impressionné de la journée d'hier, et pourtant on en a vu !

L'hélicoptère part faire des reconnaissances plusieurs fois pour voir s'il y a une meilleure route qui nous permet de passer jusqu'à DDU. Finalement, il n'y a pas de route miracle, et il faut se décider à en emprunter une, juste un peu moins englacée que les autres. Cependant, cette glace n'est pas continue, puisque nous traversons par instants des zones de mer complètement libres, avant de rencontrer à nouveau des zones avec beaucoup de glace, etc...

A un moment donné, je réalise vraiment que c'est l'arrivée, j'ai un assez long moment de grand vide, je me sens moins bien, je vais m'allonger sur ma couchette une dernière fois, malgré le décor de rêve autour. Il faut dire que je crains aussi le soleil qui m'a bien brûlé au début de la traversée, quand je faisais la sieste sur le pont, au soleil, assez couvert pourtant, mais sans crème solaire... Le soleil de l'Hémisphère Sud est vraiment plus puissant/redoutable que le nôtre, sans doute le trou de la couche d'ozone... Ainsi, avant de ressortir à la lumière, profiter de l'éclat de l'arrivée, je me recueille un peu, presque saoûlé par toutes les merveilles déjà aperçues... Je pense à tous les gens avec qui j'aimerais partager ce que je vois, ce que je respire, ce que je ressens... Après une demi-heure un peu en dehors de ce trop-plein d'émotion, je refais surface sur le pont, plus vaillant, et prêt à "affronter" l'étape finale de ce voyage.

Au bout d'un moment, on voit nettement la côte, et la calotte qui descend jusqu'à la mer, et le grand jeu devient de tenter de deviner où se trouve la base avec les jumelles.  Vincent l'ornitho me prête les siennes, et je regarde pendant un long moment, en vain, puisque nous apprenons un peu plus tard que nous avons pris une route moins englacée sensiblement à l'Ouest de la base, et qu'elle ne se trouve pas du tout en face de l'endroit où je regardais depuis un moment ! C'est donc en seconde partie d'après midi que, en longeant la côte vers l'Est, on aperçoit pour la première fois l'antenne de la base, aux jumelles bien sûr dans un premier temps. On voit aussi Cap Prudhomme, la petite base qui sert de point de départ du raid qui rallie Concordia et qu'on distingue également sur le bas de la calotte.

Evidemment, plus encore que tout le reste de la journée (et pourtant ça paraissait déjà difficile !), tout le monde est sur le pont ou la passerelle à observer, à prendre des photos, souvent le silence règne, comme pour ne pas briser la belle harmonie de ce que nous voyons, la pureté de cette arrivée en Antarctique que nous vivons. C'est assez émouvant, ce recueillement.  Finalement, on contourne un dernier gros iceberg, pour nous retrouver en face de notre archipel, notre nouveau village, notre future maison ! On reconnaît les photos déjà familières, et alors que nous approchons, de plus en plus de petits points apparaissent, les gens sortent petit à petit pour observer l'Astrolabe approcher. Certains descendent tout en bas, au pied de la banquise qui reste et dans laquelle le bateau progresse péniblement, sur le dernier kilomètre. 

Il fait incroyablement bon, pas de vent, et une température positive, le soleil brille, tout le monde a le sourire aux lèvres, c'est un moment assez magique. Les manchots courent non loin du bateau, certains entre nous et la base, sur son caillou qui domine les alentours. Au bout d'un moment, on décide de tous faire signe à tous ces humains qui nous scrutent du regard, ils nous répondent, ouf, c'est bon, nous sommes attendus ! Finalement, le bateau cesse sa progression, nous sommes bloqués dans la glace, il est 18h environ, et on décide de commencer le débarquement des passagers et bagages par hélicoptère.

J'ai donc eu droit à 19h02 précises à un vol d'une minute en hélicoptère, entre le pont de l'Astrolabe et DDU. A l'arrivée, plein de monde pour comité d'accueil, un véritable tourbillon, on fait la bise et serre des mains à tour de bras, pas le temps de retenir les prénoms même si on se présente bien sûr. Je reconnais quelques visages vus en photo, tout le monde est posté devant le bâtiment Séjour, où nous attend un petit apéro fort bienvenu. Les bagages sont débarqués par les rotations suivantes de l'hélico, et s'entassent devant ce même bâtiment. 

A partir de cet instant, c'est vraiment une tempête de découvertes, plein de nouvelles têtes, on a l'impression d'être une foule, chose confirmée un peu plus tard puisqu'il y a quand même 85 couverts au service du soir ! On marche sur les passerelles entre les bâtiments, au milieu des manchots Adélie, c'est complètement irréel, ça tangue encore un peu, après tous ces jours sur le bateau, mais pour ma part c'est dans des proportions très raisonnables. Je retrouve assez vite nos trois collègues météo dont nous prenons la relève, ça va ils ont l'air d'avoir plutôt bien survécu à leur hivernage ! On va se poser quelques minutes au bureau de la météo, qui possède les meilleurs fauteuils de la base, j'ai hâte d'essayer. C'est vrai que le bureau est sympa, les murs sont bien décorés de photos des anciens météo depuis une vingtaine d'années, 

Le bureau est constitué de deux pièces : une pièce pour l'instrumentation, où on fait la maintenance des capteurs notamment, avec notre trousse à outils, et l'autre pièce pour l'exploitation, l'observation et la prévision du temps. Il y a plein d'ordinateurs partout, ça va nous occuper tout cela, quand même... Assez vite, on arrive à l'heure du repas, une dizaine de tables, 85 couverts, on se répartit sur les tables entre nouveaux arrivants et anciens, et on échange sur les conditions de voyage, les détails de la vie sur la base, ce que fait chacun, ça fait au final un repas très bruyant et animé. Le repas débute peu avant 20h, soit 45min après l'heure habituelle et fixe de 19h15, en raison de la circonstance un peu exceptionnelle que constitue notre arrivée.

En sortant du repas, je suis saisi par l'odeur incroyablement forte d'excréments de manchots, beaucoup plus qu'à l'arrivée sur la base. Ca y est, on y est, il va falloir s'habituer, c'est notre environnement, c'est chez nous ! Je suis une fois de plus saisi par la beauté de l'environnement, même quand on le sait, même quand on a les photos, c'est magique. Il fait doux au soleil de 21h30, sans vent (+3°C à l'ombre), c'est l'été ! Eugénie, une glaciologue qui va hiverner avec nous, arrivée sur la précédente rotation de l'Astrolabe mi-novembre (appelée R0), nous fait un petit tour de la base pour nous présenter les différents bâtiments et labos. Comme un bon groupe de touristes, nous la suivons appareil photo en main pour ce premier tour du propriétaire.

Enfin, vers 22h, nous retrouvons Marion notre ornithologue future hivernante arrivée sur R0 elle aussi, ainsi que Nicolas, dont j'ai oublié la fonction précise, pour partir à environ 1km de là je dirais, sur la manchotière ! Autant l'île des Pétrels où se trouve la base est peuplée de groupe de manchots Adélie qui se reposent et couvent leurs oeufs (pour ceux qui en ont) un peu partout, autant les manchots empereurs se regroupent eux sur une large plaque de banquise encore formée que l'on appelle la manchotière. Ils sont là des centaines, nous nous approchons lentement en prenant surtout garde à la solidité de la banquise fragilisée par l'été arrivant, et là on est dans le film, c'est l'hallucination qui continue... Au soleil déclinant vers 22h30/23h, on entend piailler les empereurs, on voit les jeunes, nés il y a 6 mois environ, qui n'ont pas encore leur pelage définitif, au milieu des adultes, il y a assez peu de mouvement, mais quelle foule ! Des images magnifiques...

A ce moment là, je commence à ressentir la fatigue, le poids de toute cette nouveauté, c'est presque trop d'un coup, j'ai besoin de me reposer, d'aller m'allonger, de dormir pour repartir un peu à zéro le lendemain. Vers 23h30, je regagne donc ma chambre, je regarde la vue par ma fenêtre entrouverte, l'Astrolabe, les icebergs au loin, les manchots, à minuit quand je me couche il fait bien sûr jour, le soleil a juste disparu derrière cette immense pente de luge que constitue le continent, au Sud, certains icebergs brillent encore au loin, éclairés par l'astre du jour (et de la nuit !).

Je trouve le sommeil assez facilement, et j'ouvre les yeux peu après 6h du matin, je n'ai pas assez dormi, j'ai dû rêver mais je ne me souviens pas de quoi, je réalise tout de suite que je suis encore là, à DDU, et pour un bout de temps, c'est beau... Un coup d'oeil à la fenêtre, toujours l'Astrolabe, dans les glaces, toujours des manchots, toujours dans le même film... Je commence à émerger tranquillement, en prenant mon temps, j'ai du temps, tout mon temps, le temps que je passe ici a une saveur particulière, je la sens déjà. Je branche le Mac, je commence à taper ces lignes, vite car à 9h nous attend une première réunion d'information avec toutes les consignes, c'est parti...
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Commentaires
J
Bonjour, je viens sur ton blog tous les 2/3 jours suivre ton aventure, c'est vraiment fort, merci de nous faire partager tout ça. J'ai eu envie ce soir de remonter le temps, et j'ai découvert ce texte que je n'avais pas lu.<br /> <br /> C'est un texte touchant, car on y ressent vraiment ton émotion. Plus que pour les autres articles, j'ai l'impression que celui-là, tu l'as écrit pour toi, pour le relire dans plusieurs années. <br /> <br /> Bravo à toi, et continue de vivre intensément cette aventure hors du commun. <br /> <br /> Un petit point météo en france à 2h du matin heure locale qui j'espère te fera plaisir! ;-): 23°C à Bastia, 16°C à Paris, 11°C à Angers, ciel couvert sur la majeure partie du territoire, pluie faible à l'ouest, ciel clair en Corse!
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