21 septembre 2008
Prologue acte 2
Je reprends donc le fil du récit de cette semaine particulière...
Mercredi : Nous avons débuté la journée par une présentation générale des TAAF (Terres Australes et Antarctiques Françaises, pour rappel), mais côté institutionnel, puisque c'est le directeur de cabinet du préfet des TAAF qui est venu nous faire cette présentation. C'était très intéressant de voir l'aspect politique qu'il y a derrière tout cela, puisque les TAAF travaillent en étroite collaboration avec l'IPEV pour l'organisation et le bon déroulement des missions polaires et subantarctiques. L'Etat a en effet tout intérêt à maintenir une présence permanente dans ces zones inhabitées, dans la mesure où chaque île donne accès à une zone économique de pêche exclusive pour la France, la seule activité économique vraiment lucrative possible dans le secteur.
La France a donc tout intérêt à assurer une présence humaine, et à valoriser l'activité de ses ressortissants sur le terrain, ce que s'efforcent de faire aussi bien que possible, et avec une réussite certaine, les scientifiques qui partent là bas chaque année, excellemment soutenus par les équipes techniques qui rendent la vie plus facile dans ces contrées isolées. Comme nous avions devant nous un représentant de l'Etat, il nous a été rappelé quelques évidences que l'on pourrait avoir tendance à oublier dans un tel contexte : interdiction de conduire un véhicule en état d'ivresse, d'apporter ou de consommer de la drogue, de contrevenir aux procédures de sécurité, etc... Le chef de district (Laurence de la Ferrière dans notre cas) est le représentant du préfet sur la base et a compétence pour faire appliquer la loi et, éventuellement sanctionner (comment ? rapatriement dès que possible de l'individu, la sanction suprême).
Le discours était donc assez musclé mais cet homme, au demeurant sympathique, nous a rappelé qu'en dépit des apparences, il ne faudrait pas se croire tout permis. L'idée ne me serait sans doute pas vraiment venu à l'esprit de faire n'importe quoi, mais ce rappel aura peut être fait effet dans l'esprit de certains éventuellement plus hésitants sur ce point... ? Toujours est-il que grâce aux 5 districts (Terre Adélie, Crozet, Amsterdam, Kerguelen et les Iles Eparses), la France a une présence forte (inégalée) dans cette zone quasi inhabitée du globe, et qu'elle tient à la conserver.
Après une traditionnelle pause d'une demi-heure café/biscuits/jus de fruits, nous avons embrayé sur un exposé scientifique de science antarctique, toujours intéressant car permettant de mieux comprendre en quoi consiste le travail scientifique effectué sur place. Ces exposés assez pointus ne devaient pas être si simples à comprendre pour tout le personnel non scientifique (et une partie des scientifiques dont ce n'était pas la spécialité), car, en dépit de réels efforts de vulgarisation, on allait assez vite et plutôt en profondeur dans les sujets abordés. En tout cas, luttant parfois contre le sommeil, je fus vraiment intéressé. A la fin de cet exposé, déjeuner sur le site, puis on reprend le bus pour aller passer l'après midi à Océanopolis.
En effet, nous n'avions au programme de ce mercredi après midi que la visite de ce bel espace dédié à la mer, à toutes les mers, de la tropicale à la polaire, en passant par la tempérée. L'occasion de voir un très grand nombre d'aquariums remplis d'une belle variété de poissons et autres animaux marins. Sans surprise, on retrouve la plus grande diversité et les couleurs les plus vives dans les mers tropicales, avec un dégradé régulier en allant vers le tempéré, puis le polaire. Mais c'est évidemment ce dernier espace qui nous a sans doute le plus touché, car c'est là que nous allons bientôt partir... Il y avait des manchots derrière une vitre, dans un espace qui leur était réservé, et qui ne nous ont pas paru en grande forme, quasi immobiles, à l'exception de l'un d'entre eux qui nous voyait derrière la vitre, et qui devait probablement essayer vainement d'atteindre notre main pour y trouver de la nourriture.
Cette première vision de manchot m'aura laissé un drôle de goût, un peu amer. Leur pétrification contrastait tellement avec ce que l'on voyait sur les vidéos diffusées à côté de leur bulle de verre, que ça m'a un peu dérangé... Le grand débat sur la détention des animaux sauvages : est-elle vraiment nécessaire à une époque où nous avons Internet, et bientôt, presque demain, la possibilité de voir les choses en 3D sur un écran, "en vrai" ? Finalement, quelle différence entre les voir derrière un écran de verre ou, en 3D, chez soi devant un écran (par exemple) ? Enfin, nul doute que mon prochain contact avec ces étranges oiseaux sera bien plus joyeux...
Après avoir bien profité d'Océanopolis, de 15h à 19h en gros (on a eu le droit de rester sur les lieux après le grand public, la classe !), nous étions attendus pour un dîner au restaurant sur place, avec les gens de l'IPEV et des TAAF que nous avions vus. Ca nous a un peu changé de l'auberge, c'était bien sympathique là encore, de nouvelles discussions, on apprend petit à petit un peu mieux à se connaître, un histoire se crée... La soirée s'est traditionnellement achevée au bar jusqu'à la fermeture pour un certain nombre d'entre nous, heureusement pas trop tardive (1h).
Jeudi : "Enfin, on passe aux choses sérieuses" : phrase qui fut prononcée par un de mes camarades technique TA59. Ce fut la journée consacrée notamment à tous les aspects pratiques liés à la vie sur une base. En effet, les exposés scientifiques et autres aspects administratifs, bien qu'intéressants pour eux aussi, ne le concernaient pas directement. Nous avons donc débuté la journée en fanfare avec le médecin en chef des TAAF, qui délivre les autorisations médicales pour partir, qui nous a détaillé les risques (essentiellement, des fractures), et ce qu'il fallait faire pour essayer de prévenir ces éventuels problèmes. On nous a présenté un tableau récapitulant tous les chiffes comme le nombre d'interventions chirurgicales réalisées sur les bases, la nature de ces interventions, le nombre et la nature des troubles constatés, etc... J'aurai peut être l'occasion de revenir un peu là dessus plus tard, mais il faut retenir qu'il y a eu que 6 morts (il me semble) depuis qu'on envoie des gens là bas et, en moyenne 3 interventions chirurgicales par an pour l'ensemble des bases (donc un peu moins d'une par an et par base en moyenne).
Ces chiffres m'ont plutôt rassuré. Etant assez rationnel, je crois beaucoup aux probabilités, et ces choses là m'ont toujours parlé très efficacement. Je crois que cet exposé a été, de ce point de vue, diversement apprécié. Cependant, toutes les personnes qui étaient présentes dans la salle avaient tout de même été sélectionnées en connaissance de cause. Un exposé utile, évidemment indispensable. On a également insisté sur l'aspect dentaire : un certificat de bon état général de la dentition est exigé avant de partir, il va donc falloir que je retourne chez le dentiste... On exige cela parce qu'en dépit de la possibilité de soins dentaires (par un médecin généraliste !), ces soucis peuvent empoisonner l'existence et on essaie, autant que possible, de réduire à néant cette éventualité.
Ensuite, après la pause, ce fut un nouvel exposé de science subantarctique cette fois, toujours intéressant. Je crois qu'on nous a parlé là des dégâts considérables provoqués par l'introduction d'espèces animales ou végétales sur certaines îles, principalement Kerguelen. A tel point qu'un programme d'extermination du mouflon et du mouton de Kerguelen est programmé, et que la chasse promet donc d'être intense l'an prochain sur l'archipel ! Ca doit être bizarre de venir étudier des aspects scientifiques entre les balles des chasseurs.. Espérons qu'il n'y ait pas d'accident de chasse, ce serait le comble. Enfin, pas de programme d'abattage à Dumont d'Urville (DDU) où tout devrait rester pacifique, fort heureusement. Concernant Kerguelen, il faudrait essayer d'éliminer les 7 000 chats (sauvages maintenant) qui bouffent des oeufs d'oiseaux protégés, ainsi que le million (!) de lapins qui dévastent certaines plantes endémiques... Un travail titanesque.
Si l'on souhaite préserver ces îles si précieuses car si rares dans leur genre, il convient en effet d'effacer, autant que faire se peut, les modifications que l'Homme y a trop souvent apportées. C'est à ce prix qu'on peut préserver la biodiversité, car un nouvel équilibre écologique s'est installé sur certains coins de ces îles, qui n'a plus rien à voir avec l'état originel. Cette prise de conscience est naturellement récente et explique qu'on a pendant bien longtemps (jusque dans les années 80) fait des choix menaçant cette biodiversité.
Passage traditionnel au self du site pour le déjeuner, on déjeune cette fois avec vue sur la mer, la presqu'ile de Crozon et la pointe des Espagnols, toujours sous un grand soleil qui ne nous a pas quitté du séjour, quasiment. Un temps de rêve en Bretagne, avec lever de soleil fort sympathique en face de l'auberge tous les matins ! Après déjeuner, nous avons abordé les aspects Communication de nos missions, les contacts avec la presse, d'éventuels touristes (rares à DDU mais plus fréquents sur les autres districts), et surtout le lien avec certaines écoles et/ou académies régionales. Il est aussi demandé de rédiger un petit carnet de bord, à la façon de celui de la TA58, et je me suis proposé en tant que relais rédactionnel sur la base. Ce n'est pas vraiment un poste de rédacteur en chef, tout le monde pouvant (devant ?!) participer à la rédaction à un moment ou un autre, mais je pourrais servir de fil rouge et d'interlocuteur com' sur la base pour l'IPEV. On verra bien ce qu'il en sera, mais clairement ça ne me dérange pas de communiquer et d'écrire sur l'aventure à venir...
Il faut donc s'attendre à avoir de nos nouvelles autrement que par ce blog (ou un autre, j'étudie une solution technique viable), et les communications avec les média seront peut être variées, restez à l'écoute ! Concernant les touristes, ils sont rares en Terre Adélie, car il est en pratique quasi impossible de s'embarquer à bord de l'unique bateau de liaison (l'Astrolabe) pour cause de saturation de l'occupation de ce brave navire, mais il me semble que ces dernières années, on a déjà vu débarquer sur la base deux navigateurs sur un voilier qui avaient bravé les 40èmes hurlants et les 50èmes rugissants... Apparemment, il y aurait quelques tour-opérateurs australiens qui amènent des touristes dans la zone, à voir, en tout cas on nous a donné à tous la consigne de bien accueillir d'éventuels touristes, pour leur montrer à quoi servent nos activités dans ces contrées extrêmes.
Enfin, nous avons terminé l'après midi par un assez long briefing sur la vie en communauté à DDU, notamment sur l'aspect crucial de participation de chacun au Service de Base (nettoyage dortoir, sanitaires, salle de séjour, et aide cuisine/service repas). On nous a bien rappelé les consignes de sécurité, avant tout respecter les autorisations de sortie délivrées par le chef de district (de base, Laurence de la Ferrière), et effectuer ces sorties bien équipés afin qu'il n'y ait pas de problème. Enfin, on nous encourage vivement à participer à une des 3 équipes suivantes : Pompiers (13 personnes requises), Groupe d'Intervention Extérieur (6 personnes, pour porter secours à un éventuel blessé hors base), Aide Médical (6 personnes requises, en cas d'intervention chirurgicale, pour assister le médecin). On verra où je me placerai, ce serait toutefois étonnant que je choisisse Aide Médical vue ma trouille de tout ce qui touche à la médecine...
Après ces exposés plein d'informations tout à fait concrètes qui nous ont apporté un avant-goût prononcé de ce qui nous attend, nous avons décidé pour une majorité du groupe d'aller dîner dans une crêperie au centre de Brest, on a réussi à caser une quarantaine de personnes dans la crêperie, en ayant réservé pour 20, ils ont été sympa, enfin surtout ils avaient de la place. On a ainsi pu aller au moins une fois à la crêperie lors de notre passage en Bretagne... Après cela, un dernier passage à notre bar de quartier préféré pour faire une nouvelle fois la fermeture avec les quelques survivants, et je dois avouer que la fatigue était bien là avec toute l'intensité de cette semaine, pour cette dernière soirée ! Ce jeudi soir, veille de notre provisoire séparation, on discutait déjà entre personnes qui se connaissaient pas mal, qui se sentaient assez proches je pense, c'était si étrange, tout avait été si vite !
Après une courte dernière nuit, nous n'eûmes droit vendredi qu'à deux nouveaux exposés scientifiques (le matin), toujours aussi intéressants, mais l'accumulation de fatigue rendait difficile l'attention soutenue, d'autant que les intervenants tenaient toujours un rythme aussi effréné, on vit certains dans l'assistance piquer du nez, j'en fis partie... On nous remit des posters et autres prospectus, ainsi qu'une liste de contacts avec notamment les adresses mails de tous les séminaristes et des gens de l'IPEV avant de partir. Dès le parking de l'IPEV, on s'est dit au revoir, bonne route, bonne continuation pour ceux qui partent dans les autres districts que la Terre Adélie. Les au-revoir furent chargés d'une drôle d'émotion, pas forcément par leur intensité, mais plutôt par leur nature : en sachant qu'on se reverrait dans un contexte si particulier, dans pas si longtemps, quasiment dans une autre vie...
Nous reprîmes le car avec ceux qui allaient à la gare, où eut lieu une nouvelle séparation avec ceux qui partaient dans d'autres trains. FInalement je me suis retrouvé dans le train entre deux wagons de 1ère sur les strapontins en compagnie de Céline, Eugénie et Marion avec qui je vais hiverner à DDU l'an prochain, ce qui a permis, au delà d'une réelle fatigue, de passer bien plus agréablement les 4h40 de voyage nécessaires pour rallier la Gare Montparnasse, à Paris. Quelques bises d'au-revoir arrivés à la gare, puis le choc, le retour brutal dans le monde réel, j'ai presqu'envie de dire le "monde d'avant", le début de la nuit parisienne, vendredi soir, des gens qui défilent dans tous les sens sur le parvis de la gare, des souvenirs plein la tête, allant de quelques minutes à quelques jours, et déjà la conscience que quelque chose a changé durant cette semaine 38 de l'année 2008...
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