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Itinéraires polaires
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16 mars 2020

Au calme adélien

A DDU, les jours se suivent et se ressemblent pas mal, globalement. Ces derniers temps, le vent reste assez discret, avec évidemment quelques rafales par moments, on est quand même en Terre Adélie, mais le soleil brille souvent, et on profite de belles périodes comme hier dimanche où le vent est resté bien discret, ce qui m’a permis d’aller pelleter la congère un bon moment, en guise de sport dominical. Je l’ai également fait pour tenter de gagner du temps sur la future progression de cette congère, en abaissant le niveau de neige en amont du passage dortoir-séjour, j’espère bien que le niveau montera moins vite, moins haut. Ce temps calme et ensoleillé se poursuit également ce lundi. Le froid reste de mise, puisqu’avec -11,1°C de température moyenne depuis le début du mois, nous venons de connaître la première moitié de mars la plus froide depuis le début des relevés à DDU en 1956 ! Il faisait encore -15°C ce lundi matin...

Le paysage est donc figé ici avec la banquise quasiment à perte de vue, même si on aperçoit tout de même la polynie (ouverture d’eau dans la banquise) à 7-8km au nord-ouest de la base, comme les images satellite nous l’ont confirmé. Une journée comme aujourd’hui, en contemplant la vue, on est face à un tableau lumineux, paisible. Coupés du monde sur notre île, les jours s’écoulent tranquillement, dans une certaine sérénité. On aperçoit parfois des petits groupes de manchots Adélie qui quittent l’archipel pour leur migration saisonnière, qui progressent souvent rapidement sur la jeune banquise (voir parmi les photos proposées). On en retrouve toujours un petit groupe, qui diminue jour après jour, sur la face nord ensoleillée de notre mont Cervin à nous (photo), qui attend tranquillement la fin de mue pour partir à leur tour.

Et pourtant, difficile de ne pas en parler, et de rester insensible à l’actualité brûlante du moment, qui ne nous concerne pas, en tout cas directement, le fameux coronavirus et ses répercussions chaque jour plus importantes sur la vie de « l’autre monde ». En effet, tous nos correspondants de l’extérieur nous en parlent, de plus en plus, à mesure que le sujet devient sérieux. A l’occasion d’une discussion avec ma soeur et mes parents hier soir, je me suis mieux rendu compte des implications que cela a dans la vie quotidienne, et de l’état d’esprit général, naturellement difficile à appréhender de DDU.

Ce qui n’était au départ, pour nous, qu’une épidémie chinoise qui provoqua des complications importantes pour nous faire parvenir notre dernier courrier avant l’hivernage, est ainsi devenu un sujet d’importance mondiale. Alors bien sûr, ici, dans les 7 prochains mois, on ne risque rien du point de vue du virus, on a cette chance.  Ca ne dispense pas de penser aux si nombreux proches, qui ne l’ont pas. Je ne peux pas m’empêcher de me sentir un peu « planqué » dans un abri sûr, sans pouvoir être présent avec mes proches pour nous serrer les coudes, ensemble;

Et puis il y aura le retour pour notre TA70, bien sûr, dans quel monde, finalement ? C’est certes bien prématuré de s’en préoccuper maintenant, après simplement 3 semaines d’hivernage, mais le sujet du retour dans un monde différent de celui que nous avons quitté fait forcément un peu partie de l’imaginaire de l’hivernage, avec la longue coupure qui est la nôtre. C’est généralement un sujet de plaisanterie, propice à des délires post-apocalyptiques qui peuvent prêter à sourire, mais pour une fois on peut quand même se demander où en sera l’épidémie, en fin d’année, et dans quelle mesure cela impactera encore la marche du monde.

Le fait même d’entrer en hivernage, de réaliser ce que ça signifie, entraîne qu’on est amené à se demander comment on pourrait survivre en autonomie, combien de temps, par quel(s) moyen(s) ? Ca donne lieu à des échanges mi-sérieux mi-humoristiques assez distrayants. Pour l’anecdote, avec les réserves de fioul notamment, qui conditionne directement notre survie pour l’eau courante, le chauffage, l’électricité, on peut certainement, en se restreignant sur quelques bâtiments seulement et en sacrifiant pas mal de choses, tenir plusieurs années.  La nourriture ne serait pas trop un problème, avant un bon moment, en se rationnant un peu.  

Plus sérieusement, on a tout ce qu’il faut pour passer une année sereine et en sécurité ici, sanitaire, alimentaire, ça ne fait d’autant moins de doute à mes yeux que je l’ai déjà vécu, sans problème. Mais le fait de pouvoir être bien informé, bien davantage qu’en 2009, change forcément la donne.  Chacun sur la base est évidemment libre de s’informer plus ou moins, nous pouvons lire un résumé quotidien des actualités, ainsi que Le Monde, notamment. Et grâce à Internet, je regarde pas mal ce qui se passe sur Twitter, où je publie parfois quelques infos et photos également. Cela alimente inévitablement certaines conversations lors de nos repas, moment social par excellence.

J’ai fait le choix de rester assez connecté au monde, parce que j’ai déjà connu une coupure plus franche en 2009 d’une part, et parce que j’ai envie de rester lucide face à ce monde que nous avons quitté et que nous retrouverons bien vite, après cette expérience fabuleuse de l’hivernage, certes. Cela traduit sans doute également que je me sens davantage relié au monde qu’il y a 11 ans. Comme beaucoup de choses, c’est à la fois une force et une faiblesse. Une fois les informations digérées, il nous reste à nous concentrer, comme toujours, sur ce sur quoi nous pouvons agir : faire en sorte que notre année adélienne, dans notre monde, à bien des égards beaucoup plus simple à vivre que l’autre, globalisé, se passe le mieux possible, en y mettant de la bonne volonté.

Ceux qui se coupent davantage des informations du monde particulièrement anxiogènes en se moment y arrivent sans doute plus facilement. Encore portés par l’enthousiasme qui nous a, il me semble, tous menés dans cette aventure de l’hivernage, la bonne humeur, la motivation et l’envie de bien faire les choses sont encore pleinement présents dans notre groupe. Et si j’avoue avoir pris un petit choc d’informations en pleine poire hier dimanche, je me suis levé avec un bien meilleur entrain ce lundi, toujours sous le soleil, avec un vent discret, et ce tableau à la lumière changeante, et chaque jour un peu plus rasante, à ma fenêtre. Au calme adélien… Courage à tous, proches et moins proches de « l’autre monde » !


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Commentaires
N
Le paysage change, se transforme et ce bleu magnifique ! merci
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