On a marché sur l'Antarctique !

15 décembre 2019

Jeudi 12 Décembre 2019 fut une journée particulière. En effet, avec Régis, notre chef de base (DISTA, chef de district Terre Adélie) et mon collègue Alain technicien météo, nous sommes allés faire une opération de maintenance sur la piste d'atterrissage de D10. La manip consistait à remplacer un capteur au sommet d'un mât de 10m, par un nouveau capteur, que l'Aurora Australis venait de débarquer, quelques jours plus tôt. Il s'agit de l'anémomètre qui mesure la vitesse du vent aux abords de la piste, une obligation aéronautique.

Avec la perspective de la venue d'un nouvel avion quelques jours plus tard, et pour profiter de la belle période de temps calme, il fallait absolument profiter de ce moment pour faire l'installation. Dans les deux jours précédents, mon collègue Alain a abattu un travail énorme pour se familiariser avec le capteur et, surtout, avec les specificités de l'installation locale, qu'il découvrait à peine. Régis nous a accompagné car il souhaitait voir la piste de D10, et il nous fallait un troisième bras pour faire les manoeuvres.

Nous avons quitté DDU en Toyota Pickup vers 8h30 et nous avons roulé sur la banquise de la baie Lejay encore bien épaisse (sondée juste avant par Régis, à 1m20 voire 1m40 d'épaisseur) jusqu'à la base annexe de Cap Prudhomme, à 5km au sud-ouest de DDU. Cette base sert essentiellement à préparer les convois du raid qui ravitaille par la "route" la base de Concordia, à 1300km à l'intérieur du continent, et est occupée essentiellement par une dizaine d'ouvriers, mécanos… qui veillent au bon déroulement de ces opérations durant toute la campagne d'été.

J'étais naturellement venu il y a une dizaine d'années à cette base de Prudhomme, maintenant baptisée Robert Guillard. C'est un endroit assez spécial. En effet, géographiquement très proche de Dumont d'Urville, on ne peut pas dire qu'on se trouve véritablement ailleurs, on voit très bien l'une base de l'autre. Et pourtant, à part essentiellement du personnel technique, parfois quelques scientifiques, c'est un lieu où on ne se rend pas souvent, un "autre" endroit. Il a surtout une particularité : on se trouve là bas véritablement sur le continent antarctique.

C'est peut être un détail, mais c'est tout de même quelque chose que je ressens encore nettement ici, que j'ai déjà ressenti à l'époque : DDU est certes et sans contestation possible en Antarctique, mais on est sur l'île principal d'un archipel qui a une vue (imprenable, certes !) sur l'Antarctique, mais ce n'est pas le continent lui-même ! En posant le pied à Prudhomme, et en regardant la route pentue qui s'offre immédiatement à nous , pas de doute, on y est ! Sous les pieds, de la glace, puis la terre ferme. Au bout de cette route, qui part de la base Prudhomme : Concordia, la station mythique du haut plateau, de tous les extrêmes.

C'est donc une certaine émotion qui m'a saisi en sortant de la voiture et en regardant cette pente, puis en la montant à bord d'un Flexmobil à chenilles : l'Antarctique, on y était vraiment cette fois, sans contestation possible ! Vincent, glaciologue, qui fait partie des rares scientifiques qui travaille à Prudhomme (mais aussi à Concordia), nous a ainsi monté avec ce Flexmobil quelques kilomètres plus loin, au niveau de la piste de D10.

Arrivés sur place, au mlileu de l'immensité blanche, avec une vue impressionnante sur l'archipel pointe Géologie, nous nous sommes rapidement mis au travail, sous les ordres d'Alain. Visite dans le petit shelter (abri) qui abrite le matériel radio qui nous transmet les mesures à DDU, puis nous avons basculé le mât, démonté avec précaution l'ancien matériel, pour remonter le nouveau capteur (anémomètre ultrasonique Gill, pour les connaisseurs). Tout ceci sans précipitation, nous avions tout le temps nécessaire, ou presque.

Pendant d'assez longs moments, Régis et moi ne pouvions pas faire grand chose pour aider Alain, et nous avons ainsi marché sur cette fameuse piste, improbable lieu aménagé dans l'immensité glacée, en échangeant nos premières impressions sur notre groupe, nos espoirs pour l'année à venir, mais aussi des moments de simple contemplation, devant un tel spectacle.

Arrivés sur place vers 9h30, nous avons fini la manip vers 14h, mais je n'ai vraiment pas l'impression d'être resté si longtemps, en un lieu qui fait perdre tant de repères. Tant de blanc, la puissante lumière du (quasi-)solstice d'été austral réfléchie par le Grand Continent Blanc, un peu de bleu foncé, si beau, au loin, la mer qui nous a amenés ici, quelques nuages… En tout cas, cette lumière surpuissante, malgré les lunettes classe 4, la crème solaire, nous a bien éprouvés, et c'est un peu fatigués que nous sommes redescendus avec Vincent et "son" Flexmobil vers la base Prudhomme, quelques kilomètres plus bas. Nous avons profité de D10 dans des conditions vraiment clémentes, sans vent, ce qui n'arrive pas si souvent là bas.

Pour moi, cette journée a presqu'été plus forte, émotionnellement, que le retour en Antarctique. A la limite, après cette journée, je pourrais rentrer en France, comblé par mon séjour. Le shoot d'Antarctique a un effet trop puissant ! Léger détail : il reste probablement une année à passer ici, et il est même possible que d'autres souvenirs viennent aussi bien l'agrémenter. Même à DDU, une certaine routine s'installe, et on s'habitue à l'inhabituel, tout en restant parfois saisi par des lumières, un manchot...

Je me retrouve donc dans une situation étrange où j'ai, jusqu'à présent, passé beaucoup moins de temps sur la banquise qui entoure encore largement DDU, que sur le continent. Cela devrait néanmoins être sensiblement corrigé dans les prochains jours… Magie de l'été, où je rédige ces lignes le soir, depuis ma chambre, et où je tourne la tête à ma gauche, et j'ai un tableau à ma fenêtre, chaque jour, chaque heure, différent.

J'ai essayé de proposer quelques photos pour illustrer cette journée, il m'est difficile de les légender correctement car je poste ces messages de blog par mail, mais j'espère que mes explications suffiront à guider le lecteur ou la lectrice correctement. En attendant, nous continuons de profiter d'une période de temps ensoleillé, doux, et incroyablement calme, d'autant que ce calme devrait perdurer encore cette semaine, des conditions vraiment excellentes pour débuter notre année antarctique ! A bientôt.