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Itinéraires polaires
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18 novembre 2015

Le triste chant des sirènes

Vendredi 13 au soir, j'étais tranquillement chez moi, à quelques centaines de mètres de la place de la Bastille, en train de regarder un film. Soudain, j'entends des pétards dehors, comme il y en a assez souvent dans ce quartier festif, sans y prêter davantage attention. Un peu plus tard, des sirènes, comme il en passe également souvent dans l'artère très passante où j'habite. Beaucoup de sirènes, même, je commence à tiquer. Peu de temps après, toujours dans mon film, un SMS de ma soeur "T'as vu les infos ?". Et là je comprends, c'est ce soir. Je me branche immédiatement sur BFM et je découvre la situation chaotique de la soirée. Evidemment sonné par l'ampleur de l'attaque, des attaques. Je reçois et envoie quelques messages à mon tour,  je me branche sur les réseaux sociaux pour suivre l'actualité de ceux que je connais. Beaucoup d'informations rassurantes, assez rapidement, sur mes proches. 

Je passe ainsi plusieures heures à assimiler toutes ces informations, pendant que le chant des sirènes, quasi ininterrompu, se poursuit sous mes fenêtres. En réalité, il s'atténue un peu après 2h du matin, et d'épuisement je parviens tout de même à m'endormir environ une heure plus tard. Une nuit assez courte plus tard, je me réveille dans un Paris sonné et anormalement calme samedi matin. Je reprends un large complément d'informations via les mêmes canaux que la veille au soir, avant d'atteindre l'indigestion, une seule solution : tout couper, Internet, la télé. Continuer à vivre. Je n'avais pas grand chose de prévu ce samedi, je ne suis finalement pas sorti de chez moi, plus par épuisement que par prudence. J'ai surtout ressenti une immense tristesse devant cette folie.

C'était donc ce soir là. Le soir que je craignais, mais que j'attendais, d'une certaine façon. Pas forcément aussi spectaculaire, sur autant de fronts, mais j'étais à peu près certain que Paris serait à nouveau largement ensanglantée. Depuis le mois de janvier, depuis une série d'attentats ratés ou avortés proches de nous cette année, depuis l'attentat massif d'Ankara du 10 octobre, l'attentat spectaculaire contre l'avion russe dans le Sinaï le 31 octobre,  depuis le double attentat suicide de Beyrouth le 12 novembre, on sentait que les barbares islamistes étaient dans une phase très active, et je me demandais, presque consciemment, quand reviendrait notre tour. C'était donc ce soir là. Ca ne m'a pas vraiment étonné, pas vraiment sidéré, comme je l'ai souvent lu ou entendu. C'était tellement dramatiquement logique, et prévisible, selon tous les experts sur le sujet, qui m'avaient largement convaincu ces derniers mois.

Plus que la peur, dès le soir même, c'est surtout une immense tristesse, et beaucoup d'interrogations sur ce qu'il conviendrait de faire, à court, moyen et long terme, qui m'animent. J'ai l'impression que beaucoup de gens ont découvert depuis vendredi soir la réalité, la dangerosité du monde qui est le nôtre et, par là-même, la fragilité de la vie. J'ai le sentiment qu'il y avait une sorte de déni dans la société, par rapport à l'existence de ces menaces. Déni contre lequel la classe politique ne s'est jamais réellement élevée, peut être par idéologie, peut être par lâcheté, parce que ce n'est pas forcément très "vendeur" électoralement d'annoncer au peuple une réalité potentiellement anxiogène. On a ainsi abandonné ce terrain au Front National, et c'est bien dommage, tant il était urgent que la prise de conscience puisse toucher tous les modérés, les inconscients justement, que le discours du FN ne peut pas atteindre par ses outrances, par son irréalisme économique, par sa xénophobie plus ou moins assumée.

Le déni n'apporte jamais rien de bon, il me semble important pour vivre sereinement d'être lucide sur soi-même individuellement, mais aussi sur le monde qui nous entoure. Sinon, les réalités enfouies sous le tapis finissent par ressortir inévitablement, et le choc peut être violent. J'ai la chance d'être conscient de la fragilité de la vie, peut être parce que je suis miraculeusement sorti indemne d'un accident de voiture en février 2003. Mon esprit analytique peut s'avérer parfois pesant, manquer de légèreté, mais je raisonne quotidiennement en terme de probabilités, pour essayer de le faire de façon aussi juste que possible, il faut s'intéresser aux sujets, vraiment, regarder la réalité, les chiffres qui la décrivent. Ce travail de lucidité est difficile car il faut essayer de se débarrasser des idées préconçues, des rumeurs, des fausses informations, et se forger une opinion de façon aussi honnête que possible, à partir de faits aussi exacts que possible.

fluctua

Devise de Paris, affichée place de la Bastille, mardi 17 novembre au matin (noter l'extrême douceur de la température !)

Je me souviens de septembre 1986, de l'année 1995, du 3 décembre 1996 : j'ai grandi à Paris et enfant, puis adolescent, j'ai été marqué par ces attentats qui se sont produits non loin de là où j'habitais. En 1986 j'étais un enfant de 7 ans, j'avais compris qu'une bombe avait explosé dans une rue proche de chez moi (rue de Rennes), que je connaissais, que c'était grave, que des gens étaient morts, et depuis cette rue a gardé à mes yeux cette image d'un endroit (un peu) dangereux. Je me rappelle l'époque du lycée, la vague d'attentats de 1995, notamment celui du RER Saint Michel, à partir duquel les transports en commun se sont ajoutés à la rue de Rennes dans ma liste des endroits (un peu) dangereux, le niveau d'insécurité était alors monté d'un bon cran, car il y en avait eu à divers endroits. Et je me rappelle de l'explosion, que j'ai entendue, lors de l'attentat au RER Port Royal, à quelques centaines de mètres de chez mes parents. Depuis, j'y pense chaque fois que je passe en RER, parfois juste devant, à pied.

C'est peut être tout cet ensemble qui fait que j'associe, depuis longtemps maintenant, la ville à un espace potentiellement dangereux, infiniment plus que la campagne, ou la Nature, en tout cas. Et donc, que je ne m'y sens pas forcément complètement à mon aise, si l'on y ajoute la pollution, le bruit ambiant, souvent la foule anonyme dans laquelle je me sens noyé... Et qu'à l'inverse j'ai été attiré par tout ce qui n'était pas ça.

Je n'ai pas plus peur aujourd'hui que le 12 novembre, je ne ressens pas vraiment un avant et un après, si ce n'est dans la tension que je perçois autour de moi, l'inquiétude au moins. Pour ma part, je suis toujours un peu sur mes gardes dans le métro ou le bus, depuis 20 ans. Je me dis que c'est un des prix à payer pour habiter ici, si on l'ajoute à celui du loyer, de la taxe d'habitation, des restos, etc.. c'est sûr que l'addition est élevée ! Je n'ai jamais caché que je ne me vois pas, a priori, habiter durablement à Paris, en dépit de mes nombreuses attaches, familiales, amicales, et d'un travail qui me passionne.

Je pense bien sûr à ces victimes innocentes, peut être inconscientes de ce danger là, qui me semblent avant tout victimes d'un manque de chance inouï, il y avait une probabilité très faible qu'ils décèdent du terrorisme, qui tue infiniment moins que les accidents de la route dans notre pays, par exemple, et pourtant ils sont morts. Pour me rassurer en rationnalisant un peu, en ne regardant que les chiffres, j'aime me rappeler qu'il y a eu 3384 tués sur les routes de France en 2014.  Donc les tragiques 129 morts du 13 novembre, c'est autant de drames familiaux/personnels que l'on connaît, dans une relative indifférence générale, tous les 15 jours à peu près sur les routes de notre beau pays. Cette fois là, habitant non loin, oui, j'aurais pu en être, bien que mon côté légèrement asocial me fasse relativement peu fréquenter les terrasses (selon les standards des célibataires parisiens de mon âge, je pense), et encore moins les concerts ou stades, plus par inconfort lié à une certaine agoraphobie. 

Pour la suite et pour un peu mieux vivre, je crois, prendre conscience de ce risque, éventuellement s'y adapter sans s'empêcher de vivre, me semblent salutaires. Il y a des choses qu'on ne peut maîtriser, mais la vie est une expérience mortelle, même dans le cocon apparemment vide de l'idée de mort qu'est Paris, où l'on se divertit fort justement beaucoup (et peut être pour éviter d'y penser, rester dans le déni ?). D'une façon générale, je pense que si l'on souhaite mieux vivre, réfléchir à quitter Paris, à s'éloigner d'une grande ville d'une façon générale, me semble un bon début. Mon idéal de vie s'accorde difficilement avec une présence accrue et massive, sur la durée, de forces de l'ordre en armes sur la voie publique.

Et ce chant de sirènes... qui a repris ce mercredi matin, finissant par me réveiller, sans avoir besoin d'allumer les infos, j'ai compris que quelque chose d'autre, heureusement beaucoup moins tragique, se produisait. Ce chant de sirènes, il ne faudrait pas qu'il devienne trop permanent non plus, pour ce qu'il symbolise, le drame, en plus de l'aggression sonore qu'il constitue. Sur ce point et sur le fond, je rends cependant et évidemment un immense hommage à tous ceux qui oeuvrent pour protéger, intervenir et soigner. Mais je veux continuer à croire qu'il n'y a pas de fatalité et que rien n'oblige à vivre dans cette gigantesque concentration d'individus qu'est Paris.

"Fluctuat Nec Mergitur" : battu par les flots de la terreur, le bateau parisien ne sombre pas. Il faut raison garder, ce monde n'est pas devenu subitement plus dangereux aujourd'hui qu'il l'était le 12 novembre : il est globalement aussi dangereux, la probabilité de mourir d'un attentat n'a pas beaucoup bougé sur cette courte période et reste très faible. Pour essayer de mieux vivre, il faut s'informer, être lucide sur notre situation, échanger des idées, des connaissances, pour toute la partie sur laquelle nous avons une maîtrise, et pour le reste, espérer (en agissant politiquement à notre niveau, si c'est possible) que les barbares obscurantistes soient rapidement vaincus sur le terrain militaire, et sur le long terme, proposer un avenir à tous ces compatriotes qui se retournent dramatiquement contre nous. La vie continue !

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Commentaires
N
Exactement les mêmes sentiments,le fait à du vécu.<br /> <br /> Oui, la vie continu .
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S
Merci d'avoir partagé ton ressenti. Et contente de savoir qu'il ne t'est rien arrivé. Je suis, comme beaucoup d'autres personnes, de tout cœur avec tous ceux et celles qui, de près ou de loin, sont touchés par cette ignominie. Mais, sachons garder la tête haute. Et ne laissons pas l'obscurantisme prendre le pas sur nos vies.
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