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Itinéraires polaires
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5 juin 2008

Météo-France en grève

Cela ne vous aura, peut être, pas échappé, mais ce jeudi 5 Juin 2008, une partie non négligeable du personnel de mon entreprise, Météo-France, était en grève. La raison de cette grève : la fermeture annoncée de plus de la moitié des implantations locales, les fameux Centres Départementaux de Météo (CDM), assortie du remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite dans les prochaines années. Moins de postes, moins de centres météos. Cette évolution s'inscrit dans la droite ligne de la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) qui est le grand chantier de restructuration de la fonction publique initié par Nicolas Sarkozy. L'Etat n'a plus les moyens d'assumer une fonction publique aussi pléthorique et donc coûteuse. Loin de moi l'idée de dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes dans la fonction publique, et il y a probablement de belles économies à faire par secteurs en réorganisant et en redéfinissant les missions d'un grand nombre d'agents. Je ne me lancerai volontairement par dans une analyse globale de la fonction publique, manquant d'éléments pour cela. Pour le cas précis de la météo que je maîtrise mieux, on peut tout de même s'étonner de la volonté affichée d'amoindrir (au moins numériquement et territorialement) le service météo de référence, quand on sort du Grenelle de l'Environnement, c'est-à-dire dans un contexte avéré de plus grande sensibilité des populations au changement climatique en cours. A la lumière de cet événement, on aurait pu penser que la météo allait recevoir un traitement particulier, du fait de son importance stratégique croissante. Or, ce n'est pas la logique qui a été retenue, nous sommes logés à la même enseigne que tout le reste du service public, sans distinction apparente, la logique comptable doit passer. Il en résulte un traitement assez brutal de cette mutation par la direction de l'établissement, qui, à l'image de notre président de la République, a fait beaucoup de communication pour tenter de faire passer le manque de concertation criant. C'était la raison principale de ma présence à cette manifestation baptisée de façon ambitieuse "1000 Météos à Paris". Pour dire les choses autrement, je suis en désaccord sur la forme, mais pas complètement sur le fond. Je dis bien pas complètement. Il est évident que si la France affichait des bénéfices insolents, que la croissance était florissante et les perspectives radieuses, il serait absurde de vouloir se priver à l'évidence d'outils utiles pour un meilleur service de proximité des citoyens. Malheureusement, je pense que nous sommes très loin de cette situation idyllique, et qu'il faut autant composer avec une triste réalité économique qu'avec l'idéologie au pouvoir de réduction à tout prix de la fonction publique. Cela dit, et je reviens en cela à ce que je disais plus tôt, c'est aussi une question de choix politique, vu le poids financier relativement symbolique de la subvention de l'Etat pour la météo (environ 150 millions d'Euros), un Etat même criblé de dettes comme le nôtre aurait très bien pu faire le choix de mettre un petit paquet supplémentaire sur la météo en préservant ainsi un service de proximité. Ce n'est pas la logique retenue. A titre personnel, parce que j'ai eu la chance inouïe de pouvoir grandir dans les meilleures conditions possibles et de m'armer contre les difficultés de la vie, je ne suis pas du tout opposé au changement, bien au contraire, j'aurais presque tendance à vouloir naturellement plus de changement, du dynamisme, du mouvement. De mon point de vue, ce n'est donc pas le changement qui pose problème, mais bien le comment du changement, quelle méthode, et surtout pour quoi faire ? Ces points ne sont aujourd'hui encore, pas vraiment éclaircis. Et je conçois tout à fait que cela inquiète des gens qui n'ont sans doute pas eu la chance d'avoir les mêmes armes que moi, et qui ont basé leur vie sur des certitudes qu'on leur avait vendues comme telles, qui s'effondrent comme un château de cartes aujourd'hui. Quelque part, il y a tromperie sur la marchandise... De tout cela, il ressort que si j'avais la certitude que l'avenir que l'on prépare pour notre établissement était meilleur, je soutiendrais sans doute avec davantage de vigueur cette mutation. Le flou savamment entretenu par la direction jusqu'à ce jour sur les modalités du changement, au delà des grandes phrases ("40 centres en 2017"), n'y concourt pas vraiment. Il y a un risque réel que la qualité de la prévision s'affaiblisse dans le futur, au moins dans un premier temps. Le fait, tout à fait louable et philosophiquement défendable, de vouloir s'appuyer plus massivement sur l'automatisation et l'informatisation ne doit pas servir de prétexte à une coupe trop franche et brutale du modèle actuel. Pour les côtoyer quotidiennement, je sais que les derniers outils de prévision (les modèles météos, logiciels informatiques de simulation de l'atmosphère), sur le papier plus précis que jamais, n'offrent pas, et de loin, les meilleures garanties quant à la qualité de leurs prestations. Reformulé autrement, il est aujourd'hui bien trop tôt pour espérer transférer à la machine l'ensemble des compétences des prévisionnistes humains. Le jour où cela marchera techniquement, en effet, on pourra couper plus franchement dans le personnel de prévision, à service égal. Cela me semble largement prématuré. Les modèles météo progressent sans cesse, mais à vouloir descendre à une échelle plus fine, on prend le risque de commettre des erreurs de plus en plus nombreuses. Et c'est malheureusement ce qu'on constate, malgré ces progrès. En terme de sécurité, il y a là un point critique... Quant aux stations automatiques de mesure, elles progressent sans cesse et deviennent très efficaces, mais le risque de bug reste non négligeable, et potentiellement critique quand il s'agit d'avertir un usager/utilisateur d'un éventuel danger météo. Sur ce dernier point, l'homme observateur peut lui aussi avoir une défaillance, bien sûr, mais il garde tout de même une capacité de réaction supérieure à celle d'une machine qui, une fois plantée, reste plantée jusqu'à ce qu'on vienne la réparer... Comme je veux rester assez mesuré dans mon opinion sur la question, force est de constater que la structure actuelle est un peu lourde, en terme de prévision justement. Il existe certainement un moyen de simplifier et d'alléger cette structure sans perte substantielle de qualité, j'en suis convaincu. Je pense qu'il y a donc un peu trop de tâches redondantes dans l'élaboration des prévisions, et très honnêtement, on pourrait arriver à garder cette qualité en regroupant les personnels dans des centres moins nombreux. Tout est question d'organisation, et c'est bien là que le bât blesse, aujourd'hui on ne nous présente que la désorganisation... C'est bien la fin d'un modèle qui se joue en ce moment, et comme ce n'est pas dans ma nature je n'en serai pas nostalgique (je n'en ai certes pas vraiment l'âge non plus !). Espérons juste qu'après avoir mis au tapis des centaines de postes, on trouvera une organisation optimale pour continuer à produire des prévisions de qualité. Il eût été plus logique de définir d'abord l'organisation cible avant de couper les postes, mais bon, on connaît bien les impératifs électoraux qui veulent des résultats rapides et spectaculaires, quitte à sacrifier le fond. Je comprends que les anciens météos soient déstabilisés par la situation actuelle. On va leur répondre la phrase facile : "Faites comme le monde qui vous entoure, bougez ! Evoluez !". Peut être qu'ils seraient plus enclins à le faire si cette mutation était préparée et présentée de façon plus pragmatique, et moins idéologique... Tout ceci me laisse donc un goût assez mitigé dans la bouche. A titre purement personnel, ne sachant absolument pas si je ferai encore partie de ce bel établissement dans une dizaine d'années, je ne suis pas trop déstabilisé. J'aime tellement l'idée de tout laisser tomber et de repartir de zéro pour renaître sous une autre forme qu'à la limite, imaginer mon avenir dans 40 ans dans la même boîte est une pensée qui m'angoisse, une part de liberté qu'on me dérobe. Mais je pense bien sûr à mes collègues, jeunes ou moins jeunes, qui croient sincèrement en leur carrière dans cette belle entreprise au but ô combien important dans l'époque climatiquement agitée qui nous attend. Il est légitime de vouloir le meilleur, au moment où on propose trop de pire... Mes amis libéraux soutiendraient que la disparition de Météo-France (en extrapolant un peu/beaucoup) serait peut être l'occasion de voir émerger des services météo privés de qualité qui seraient tirés vers le haut par la sacro-sainte Concurrence. Je suis philosophiquement séduit par l'idée d'une compétition dont le résultat est inéluctablement l'amélioration de l'état initial. Outre le fait que cette solution est aujourd'hui complètement irréaliste et pratiquée nulle part dans le monde au niveau de la météo, j'ai quand même quelques doutes sur l'amélioration inexorable de service qui accompagnerait cette évolution. Comment le citoyen s'y retrouverait il entre Météo1, Météo2 et Météo3 ? Si Météo1, leader du marché, coule lentement, sans que ça se sache et que la qualité de ses prévisions se dégrade, quelles conséquences en terme de sécurité pour les citoyens ? Comment savoir qu'il ne faut plus faire confiance en Météo1 ? A un moment donné, il faut bien que quelqu'un décide qui est la référence et donne les moyens d'agir à cette référence. On peut toutefois imaginer que ce quelqu'un ne serait pas l'Etat, mais pourquoi pas un organisme de certification... Enfin tout ceci reste très théorique et déconnecté de la réalité actuelle, je trouvais cependant que cette petite dose libérale dans mon blog pouvait apporter un point de vue un peu novateur et volontairement provocateur sur cette question d'actualité. Le libéralisme : "belle" théorie appliquée nulle part au sens strict, et fort heureusement. Le libéralisme n'est pas fait pour les faibles, et nos sociétés contemporaines laissent encore bien trop de faibles au bord de la route... C'est ma principale objection au libéralisme, avant de souhaiter son avènement, il faudrait réaliser les conditions de son avènement, une société plus juste ou chacun aurait les outils pour évoluer, muter à sa guise, s'adapter à tous les contextes. Or, dans le contexte d'un appauvrissement tant culturel que matériel de nos riches sociétés, les clivages sont de plus en plus forts, les inégalités plus insupportables, ça ne peut pas marcher. Je dirais même que la dose de libéralisme que l'on injecte dans nos économies concourt à creuser ce fossé, parce que ça ne profite qu'aux forts actuels, quand il serait temps de commencer à remettre tant de choses à plat, à commencer par l'éducation... Ces dernières réflexions m'entraînant bien trop loin du sujet initial, sans en être absolument déconnecté, je relâche donc ma plume électronique et m'en vais lire le passionnant récit d'Apsley Cherry-Garrard intitulé Le pire voyage au monde, le récit de l'expédition de Sir Robert Falcon Scott en Antarctique en 1910, dans des conditions dantesques, sur cette terre alors encore tant inconnue...
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Commentaires
A
Passionnante ton analyse de la situation et tes mots "modèles météo... méthode plus fine... erreurs plus nombreuses" ainsi que les sujets "sécurité... citoyen ... prévisions météo" m'amènent à te demander quelles sont tes opinions, personnelle et professionnelle, sur les services rendus à la société grâce aux prévisions météo. Quelle est la responsabilité de M-F, jusqu'où va-t-elle? juridiquement ce point est certainement discernable -en ce sens que des "parapluies" doivent être ouverts -hi hi hi- mais je parle au sens du for intérieur, est-ce que la sécurité des citoyens fait partie de "vos" préoccupations, donc vous sentez-vous responsable des dégâts qu'occasionneraient vos "erreurs", vos errements? (je précise que je regrette fort la tournure de notre société: dé-responsabiliser dans tous les domaines le citoyen, donc entre autres celui de la nature qui doit, elle aussi, ne plus jamais nous surprendre... affligeant...) A bientôt pour développer!
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L
bel article! sans m'étendre sur le sujet (je n'ai pas les éléments pour) je suis assez d'accord avec tes opinions sur le changement et le libéralisme, et la façon dont tu les exposes est assez intéressante! J'aime bien te lire, ça fait réfléchir!
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