Nouveau départ

Le temps a vite filé depuis le dernier billet rédigé sur ce bon vieux blog alaskan. Il n'était pas prévu de poursuivre cette aventure au delà de l'expérience du Grand Nord, mais voici que les événements récents m'invitent à reprendre ma plus belle plume électronique afin de parler de l'avenir qui se profile maintenant : un départ prochain en Antarctique ! Depuis le dernier billet, j'ai donc clos mon cursus scolaire pour de bon en étant diplômé de l'Ecole Nationale de Météorologie en juillet, puis j'ai été affecté dans la foulée en août à Paris à la Direction du Commerce & Communication (D2C) de Météo-France, pas franchement pour mon attirance pour les métiers commerciaux, mais bien davantage pour revenir à Paris, profiter des nombreux amis, de la famille et des agréments innombrables que cette belle ville offre malgré tout, même pour un assoiffé de grands espaces comme moi.

Récit J'ai présenté à l'automne 2007 ma candidature pour le poste de chef de station météo à Dumont d'Urville, la base française située sur la côte du Grand Continent Antarctique, comme tous les ingénieurs météo peuvent le faire chaque année. Mais chaque année également, les volontaires sont difficiles à trouver, il s'agit tout de même d'une mission d'un an sur place, appelée hivernage, qui comporte son lot de solitude, d'éloignement de confinement, puisqu'il s'agit de rester isolé, coupé physiquement du monde pendant 8-9 mois d'hiver, avec environ 25 personnes. Bien que les conditions financières soient très favorables et incitatives (salaire plus que doublé et quasiment aucun frais sur place), les candidats ne se bousculent pas. Cet automne, par conséquent, dès que la chance me fut donnée, je postulai. Rapidement j'appris que nous n'étions que deux dans ce cas, et que j'avais toutes les chances d'être choisi car, contrairement à mon concurrent, je n'y étais jamais allé. Et c'est ainsi que la première commission d'affectation de ma vie professionnelle décida de me muter en Terre Adélie, en novembre, alors que j'avais pris mon poste à peine 3 mois plus tôt, difficile de faire plus rapide ! Oui mais ce n'était pas si simple, j'étais en effet muté sous conditions, les conditions étaient de passer les tests médico-psychologiques avec succès. Il me fallait donc patienter jusqu'à la fin de l'hiver pour passer ces fameux tests. C'est ce que je fis le lundi 17 Mars 2008 : toute la matinée fut consacrée à de nombreux examens médicaux (ophtalmologiste, prise de sang, radiographie dentaire, éléctrocardiogramme, examen complet par un médecin), tandis que l'après midi je subis un interrogatoire psychologique en deux étapes : un entretien d'une heure avec un psy, puis pas loin de deux heures de questionnaires de personnalité. Je suis sorti de là lessivé, et en définitive sans trop savoir ce que ça pouvait avoir donné... L'attente fut par moments longue et pénible, mais ce vendredi 11 Avril 2008, je décidai de prendre mon téléphone et d'appeler le responsable des Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF) à Météo-France. C'est alors que j'appris que "j'étais pris" ! Je n'osai y croire, cet instant tellement longtemps désiré, tous ces efforts depuis des années consacrés à ce but, il faut se rappeler que j'étais rentré à Météo-France notamment pour avoir l'opportunité de faire ce genre d'expérience ! Je ressentis alors un immense soulagement, tout à coup les choses m'apparurent limpides, mon avenir eut à nouveau un sens, après un début d'année assez morose, plein d'incertitude. J'eus des moments de quasi hystérie, assez brefs mais démonstratifs, je m'agitai tout seul dans mon bureau, entre deux coups de fil pour prévenir les proches qui attendaient, comme moi, cette décision depuis longtemps. Dès le déjeuner, c'est le champagne qui coula pour célébrer cette bonne nouvelle, un nouveau souffle pour ma petite existence en quête perpétuelle de sens...

Analyse Ainsi, je réponds à une question que j'avais laissée en suspens lors de mes derniers billets alaskans : je ne retournerai vraisemblablement pas en Alaska dans un futur proche, puisque je suis officiellement attendu à peu près à l'endroit le plus exactement opposé sur Terre : la Terre Adélie. J'aurai le temps de revenir dans le futur sur ce lieu, faire une petite présentation historico-géographique de mon futur environnement. Il était de toutes façons assez clair que je ne pouvais me contenter de Paris très longtemps, l'appétit des grands espaces couplé à une conscience toujours plus vive du temps qui passe me poussaient à envisager une sortie prochaine de la capitale dans un délai raisonnablement court. Surtout, profiter de ma jeunesse et de mon énergie encore présentes pour faire des expériences, les expériences dont j'ai longtemps rêvé... Aller en Terre Adélie ne résoudra probablement pas la foule de questions existentielles qui habitent depuis toujours mon cerveau, mais j'y trouve sans peine une cohérence avec tout ce que j'ai accompli jusqu'ici, et le fait d'envisager cela comme une conséquence logique de mon existence suffit à me convaincre que c'est un choix juste et probablement bénéfique pour le futur. La nouvelle est encore trop fraîche dans mon esprit pour que j'appréhende réellement tout ce qu'un tel départ suppose; il est de toutes façons bien trop tôt pour ressentir le grand vertige du moment où on bascule dans l'Inconnu, cet Inconnu tant désiré et craint à la fois, celui pour lequel on se lève le matin, capable de bouleverser l'ordre établi, d'offrir un regard complètement neuf sur l'existence dont les si nombreuses facettes continuent de me fasciner inlassablement. J'aime répéter que j'ai envie de connaître plusieurs vies, je ne parle évidemment pas là de réincarnation, faute de pouvoir vraiment comprendre cette notion métaphysique, mais de vivre des tranches de vie différentes au cours de mon existence. Je suis né curieux, et j'essaie simplement d'agir pour satisfaire cette curiosité. Bien sûr, tout cela peut paraître, de façon fort légitime, assez désordonné de l'extérieur, et j'entends bien mes amis manifester parfois une certaine attente de "stabilité" de ma vie. Je pense que ce moment là n'est pas encore venu, je dois encore me nourrir de ces opportunités que seule une mobilité totale offre. Dans cet ordre d'idée, j'ai emménagé dans mon appartement parisien avec un minimum d'affaires, conscient que tout cela avait, une fois de plus, une durée de vie nécessairement limitée. Je pense sincèrement que pour essayer d'être un homme légèrement meilleur pour moi et pour les autres, je dois accumuler ces vécus, ces tranches de vie qui renouvellent sans cesse le regard que l'on porte sur le monde. Je suis peut être dans un délire solitaire qui, en définitive, ne m'amènera nulle part. J'assume et prends le risque de n'en retirer qu'une simple satisfaction égoïste, sans réellement croire qu'il puisse en être ainsi. Terre Adélie... Dans ce bout de terre antarctique rattaché administrativement à la France, je trouverai l'asile le plus lointain possible de notre bonne vieille métropole. Contrairement aux apparences, je ne cherche pas l'éloignement ou une sorte de fuite à tout prix. Certes, il y a bien d'autres endroits sur cette planète où j'aurais pu me couper du contexte français (et a fortiori, parisien), mais l'Antarctique est une destination pleine de symboles qui me sont chers : un sanctuaire dédié à la Science et elle seule, immense territoire sauvage non militarisé, dont les immenses gisements miniers ne sont pas exploités, protégé par des accords internationaux aussi récents que remarquables. Avoir l'immense honneur de fouler cette terre, d'y travailler modestement pendant une année est quelque chose qui a du sens. Avoir la chance de partager cela avec d'autres hommes et femmes est une aventure rare, pour laquelle je me sens totalement prêt, et formé. D'une certaine façon, l'Antarctique est une autre planète, tout en constituant un maillon essentiel du climat de notre belle planète. Etre ici, et ailleurs, avec tous nos frères humains, et en même temps coupé du monde. Difficile de ne pas trouver dans ce paradoxe une belle source d'inspiration. Tout ce que j'ai fait jusqu'à ce jour était finalement tourné vers ce but, vers ce genre d'opportunité, je ressens une grande paix intérieure, la joie qui commence à m'habiter n'en sera que plus profonde. J'ai toujours été programmé pour travailler, avoir de bons résultats à l'école, sans savoir pourquoi, aujourd'hui je sais ce que signifiaient toutes ces heures innombrables d'exercices, de lectures scolaires ou non, ces instants de méditation devant mes beaux paysages corses. Je ne vois pas l'Antarctique comme une fin en soi, mais comme un passage vers de nouveaux horizons qui n'émergent pas encore des brumes de l'avenir... Créer des possibles, là réside peut être le fameux sens de la vie. Savoir pourquoi on avance, même sans connaître la destination finale. Au pire, si tout ceci n'est qu'illusion, j'aurai le souvenir d'une belle promenade, de belles images, des paroles, des impressions plein la tête. Au mieux je gagnerai peut être quelques clés de lecture qui éclaireront mon cheminement terrestre et, je l'espère, celui des gens que je croiserai. Mais maintenant, place à la fête, aux réjouissances à venir, à toute la délicieuse phase d'attente (le plaisir est dans l'attente, si vrai), les préparatifs et la montée d'adrénaline probable qui les accompagneront, petit à petit. Je ne suis qu'au tout début d'une aventure, quand il est encore temps de se tromper sur ce qu'on imagine, car la réalité dépasse bien souvent nos fictions. Ceci n'est que la première pierre que je pose au premier tiers de cette année 2008, d'autres, nombreuses, viendront compléter ce petit texte rédigé presque à chaud...

Comments

[alexandra]

"La question n'est pas de savoir si la vie a un sens mais comment donner un sens à la sienne" Dalaï-Lama.
Voilà une extraordinaire possibilité qui t'était offerte et que tu as saisie: bravo, et puis c'est le voyage qui compte, pas la destination. Nous suivrons avec passion et émotion les découvertes que tu nous feras partager. Merci d'avance. Alexandra

[JeanHuguesRobert]

Avec toutes mes sincères félicitations. :-)
http://virteal.tumblr.com/post/31504319

[arnaud]

bravo pour la validation officielle de cette nouvelle étape de ta vie.
Le long compte à rebours commence maintenant...