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Itinéraires polaires
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3 juin 2007

Mike Horn et Sylvain Tesson

Petite pause dans la présentation du voyage au Québec, parce que j'ai lu deux livres qu'on pourrait appeler de voyage ces derniers jours. D'une part Conquérant de l'impossible de Mike Horn, et d'autre part Eloge de l'énergie vagabonde de Sylvain Tesson. Deux livres qui racontent deux voyages, de nature bien différentes cependant. Mike Horn a fait, entre 2002 et 2004, le tour du monde au dessus du cercle polaire arctique, en solitaire, chose qui n'avait jamais été faite auparavant. Sylvain Tesson est parti en Asie centrale pour suivre, à vélo ou à pied, le tracé de grands oléoducs/gazoducs qui convoient l'or de ces régions là.

J'avais commencé à lire Mike Horn, j'étais évidemment intéressé, mais quelque chose me gênait dans son récit, je n'arrivais pas à me sentir vraiment dedans. Par contre, j'ai parcouru le livre de Sylvain Tesson à toute vitesse. Pourquoi ? Parce que je me sentais plus proche de lui. L'histoire qu'il raconte, cela aurait pu être la mienne, en quelque sorte. Une vision poétique d'un monde sucé de sa sève, dans des régions ô combien symptomatiques des maux de notre temps. Mike Horn, malgré ce qu'il affirme, n'est pas un homme ordinaire. Au contraire, ce genre de fausse modestie a même tendance à m'énerver. Qu'il essaie de me faire croire que des dizaines, des centaines d'autres en seraient capables, aussi. Il a connu deux hivers arctiques tout seul par -40/-50°C parfois, tirant un traîneau de plus de 100km sur des dizaines de kilomètres chaque jour, s'est sorti de situations incroyables. Personne (ou presque) d'autre n'aurait pu, ne pourrait le faire.

Sylvain Tesson se montre comme un homme beaucoup plus "normal", et est de toutes façons beaucoup plus crédible en tant que tel. Même si le fait d'avoir traversé les déserts d'Asie centrale en juin par 45°C à l'ombre, en luttant contre la chaleur extrême qu'il dit détester, suffit à le faire passer à mes yeux pour un homme hors du commun, mais passons. Nous n'avons, de toute évidence, pas la même résistance physiologique à de telles conditions. Fondamentalement, j'ai apprécié la modestie dont il fait preuve, vis-à-vis des éléments, mais aussi des populations qu'il rencontre, de la vie en général. C'est difficile de décrire son livre, qui mêle réflexions assez profondes sur l'existence, récit de voyage, rencontres avec des locaux vivant encore à des époques lointaines, selon nos standards occidentaux. Drôle d'idée, bonne idée, que de suivre le trajet d'une des dernières prouesses technologiques de l'industrie pétrolière : l'oléoduc Bakou/Tbilissi/Ceyhan. Il a suivi le cheminement de ce qui fait vivre le monde aujourd'hui (l'énergie fossile) pour comprendre la source de sa propre, de notre propre énergie. Les réflexions sont simples sans être simplistes, percutantes.

De l'autre côté, le livre de Mike Horn est essentiellement une suite ininterrompue d'exploits, certes très intéressants ne serait-ce que par leur unicité, mais il y a là véritablement un côté too much, c'est parfois indigeste à lire, il en fait trop. Trop pour moi, pauvre lecteur, pas trop dans l'absolu, ce qu'il a fait lui a permis de sauver sa vie, d'évoluer dans un environnement franchement hostile, truffé de pièges qu'il a découverts au fur et à mesure. Mais je ne sais pas, il y a quelque chose qui ne passe pas, c'est presque un récit d'écritures religieuses, dans la distance qu'il met avec le lecteur : on assiste au cheminement d'un nouveau prophète, de celui qui montre la voie du "tout est possible, pourvu qu'on le veuille assez fort". Après, c'est une question de croyance, celle là est difficile à avoir, tout de même. C'est un peu comme si Jesus-Christ, parlant de ses miracles, nous disait sérieusement que nous aussi, si nous le voulons très fort, nous le pouvons. Allons, il n'a pas dit cela, ce bon Jesus, et c'est sans doute ce qui fait encore une partie de son succès, il a une certaine crédibilité par sa vie et sa parole. Le livre de Mike Horn me met donc mal à l'aise...

La partie que j'ai trouvé la plus intéressante, pratiquement, chez Mike Horn, ce sont ses démêlés avec les autorités russes, pour obtenir tous les permis nécessaires pour traverser la sibérie orientale. Ca me l'a rendu tout de suite plus humain et plus sympathique, et cela témoignait surtout de deux choses dont tout le monde se doute : 1) l'administration russe est terrible, lente et extrêmement lourde, merci l'héritage soviétique; 2) il y a sans doute des choses cachées en Sibérie qui datent de l'époque soviétique et qu'il vaut mieux ne pas découvrir... Cette seule série d'obstacles administratifs auraient suffi à décourager plus d'une volonté, mais là encore il les a surmontés. Ensuite, il est reparti pour ce qui n'apparaissait alors que comme une formalité, les 10000 derniers kilomètres de son parcours, en plein hiver, au Nord de la Russie...

Tout ceci me pousse à la réflexion suivante : que nous faut-il pour rêver ? La réponse doit dépendre dans une certaine mesure de chacune ou chacun d'entre nous, mais je pense tout de même qu'il faut y croire un minimum. Mike Horn, je n'y crois pas. Sylvain Tesson, j'y crois. Croire, même infiniment, qu'on a une petite chance de vivre ce qu'on nous montre, ce qu'on lit. Beaucoup de gens rêvent à une vie de luxe, il y a certainement en eux une partie qui se dit que tout est possible, on peut gagner au loto (chose pour moi plus probable que d'être capable de faire le Mike Horn), et comme on dit, tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir. Les deux sont liés, bien évidemment. Vivre, c'est espérer une évolution, un mieux. Quand on est dans une impasse, on se demande sans doute à quoi bon. Le Michel Strogoff de Jules Verne m'a beaucoup fait rêver, Jules Verne en général. Mike Horn, pas du tout. Il va sans dire que j'adorerais voir les paysages, sentir les climats qu'il a connus. Mais pas du tout comme lui, c'est inconcevable, encore une fois ça reviendrait à se prendre pour Jesus, ce que je ne suis pas, et de loin...

L'imaginaire de chacun permet de se procurer du rêve illimité à coût nul, si ce n'est celui des quelques neurones que nous grillons, inexorablement, pour cela. Il m'apparaît plus que souhaitable que chacun trouve un moyen de s'évader dans son imaginaire, ce qui permet de voyager en quelque sorte, de vivre de vraies expérience personnelles et souvent constructives. Notre imaginaire se nourrit bien évidemment de notre existence, de ce que nous vivons, de ce dont nous parlons, de ce que nous lisons. Tout ceci permet de l'entretenir, de le développer. Si j'estime ne manquer de rien aujourd'hui, c'est sans doute parce que je m'emploie à cela depuis de longues années, en plus d'avoir une vie, un métier qui me plaisent particulièrement, j'arrive à obtenir ma part de rêve par l'imaginaire. Belle machine que le cerveau humain, merci à Sylvain Tesson et, tout de même, à Mike Horn, pour vos contributions.
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Commentaires
C
Excellent billet, et un point de vue que je partage. Toutefois, je lis pour ma part Mike Horn avec du recul et du second degrés : la cascade d'exploits qu'il accomplis, avec une étonnante témérité, me fait au final rire tant tout cela parait incroyable. La lecture devient alors jouissive, jubilatoire et terriblement excitante, j'ai l'impression de lire un Indiana Jones.<br /> <br /> Sylvain Tesson est pour moi infiniment plus important, un voyageur dont je partage totalement la vision et l'expérience du monde.<br /> <br /> Bref, Horn c'est pour le divertissement et la l'excitation, Tesson c'est pour prolonger le rêve et la réflexion amorcée par la route, pour mieux se comprendre sois-même.
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